LeS dOiGtS bLeUs
(Blue Fingers)
"Je toucherai le ciel et j'aurai les doigts bleus"
Le vent nous emportera !
the English version is just below
Bonjour à toutes et à tous !
Le mois dernier, la sélection était plutôt placée sous le signe du spleen, ce mois-ci c'est tout le contraire : il n'y a que du soleil et de l'amour dans les poèmes que j'ai choisis. Eh oui, c'est l'été qui commence !
Au programme ce mois-ci : Jacques Prévert, Victor Hugo, Marceline Desbordes-Valmore, Forough Farrokhzad (poétesse Iranienne), André Breton, E.E. Cummings, John Keats, Lewis Carroll, Stéphane Mallarmé et F.R. Scott.
Le petit cadeau en pièce jointe du mois, c'est Candide de Voltaire (version intégrale)... et je vous souhaite à toutes et à tous, sous le soleil de Juin, de retrouver votre candeur élémentaire. (En prime pour les anglophones, une petite phrase extraite du "Cercle des poètes disparus").
Les poèmes de ce mois-ci sont dédiés à mes compagnons d'Aventures Sur Le Net et à toute l'équipe de cette super émission.
Poèmes en français :
- Le Vent nous emportera de Forough Farrokhzad (pour la petite histoire, Forough est une poétesse incontournable en Iran. Elle est décédée dans les années 60 et son oeuvre a profondément marqué la culture persane. Forough était une femme émancipée et indépendante : ses poèmes reflètent cet état d'esprit. C'est notamment pour celà que son oeuvre est très populaire chez les féministes iraniennes).
- L'Homme et la Mer de Charles Baudelaire (un grand classique... je sais que c'est un peu vieux, mais les classiques ne sont pas des classiques pour rien !)
- L'entrevue au ruisseau de Marceline Desbordes-Valmore (si il y a quelqu'un qui sait rendre les vers charmants et légers, c'est bien Marceline Desbordes-Valmore...)
- Les enfants qui s'aiment de Jacques Prévert (ah... "l'éblouissante clarté" du premier amour...)
- J'aime l'araignée de Victor Hugo ("Le monde a soif d'amour" comme disait Arthur... viendrez-vous l'apaiser ?)
- La Lune s'attristait... de Stéphane Mallarmé (La Lune, les séraphins, les fées... tout le toutim, quoi ! le lyrisme est au rendez-vous et l'amour aussi)
- Fleurs et Couronnes de Jacques Prévert (Prévert a tellement raison... "personne ne regarde plus le soleil" -- je compte sur vous pour que ça change)
Poèmes en anglais :
- The Wind will take us de Forough Farrokhzad (c'est la traduction en anglais du même poème)
- The Blasted Pine de F.R. Scott (j'ai découvert ce poème en prenant le métro à Toronto. J'allais en cours, j'étais sagement assis sur ma banquette, j'ai levé les yeux et soudain j'ai vu des mots en français. Il y a de très belles choses qui peuvent naître de l'union de deux cultures. Je ne vous en dis pas plus car ce poème est éloquent. Il plaira sûrement à tous les francophones-anglophiles ou anglophones-francophiles).
- Always for the first time d'André Breton (une poème magnifique --- je sais, c'est très laconique comme commentaire mais je ne dirai rien de plus... à vous de le lire)
- Doveglion de E.E. Cummings (un petit poème très court et très simple mais très profond en même temps)
- Jabberwocky de Lewis Carroll (Lewis Carroll est un Dieu !!! C'est de la poésie pure : l'art de faire des guilis aux mots)
- Ode on melancholy de John Keats (nous sommes à une époque où John Keats est un classique... alors cette époque ne peut pas être complètement mauvaise)
Un très beau mois de Juin à vous tous ! ;-)
Keyvan
Webmaster de Sykamore.com
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ENGLISH VERSION :
Hi Everyone !!!
This month's poems are full of sun and love. Thirteen poems in English and French and a little present from me to you : the complete version of Candide by Voltaire and a "wav" file extracted from the movie "the Dead Poets Society".
I dedicate this month's poems to my friends from the 7th session of "Aventures sur le net" and to the crew of the show.
Poems in English :
- The Wind will take us by Forough Farrokhzad (Forough is one of the greatest Iranian artists of recent times. She passed away in the 60's and her works have had a great influence on Persian culture. She was an emancipated independent woman and her poetry reflects that state of mind. This is one of the reasons why her works are very popular among Iranian feminists.)
- The Blasted Pine by F.R. Scott (I've discovered this poem during a subway ride in Toronto. I was surprised to see something written in French...in fact it was both in French and English... it's a poem about the beauty of having two cultures... you'll need to speak some French to understand this poem because it's very subtle).
- Always for the first time d'André Breton (I love this poem !)
- Doveglion de E.E. Cummings (very short, very simple but very deep)
- Jabberwocky de Lewis Carroll (Lewis Carroll is my God !!! He's a Master in the art of Poetry : the art of tickling words)
- Ode on melancholy de John Keats (...)
Poems in French :
- Le Vent nous emportera by Forough Farrokhzad (the same poem as before... but in French this time).
- L'Homme et la Mer by Charles Baudelaire (...)
- L'entrevue au ruisseau de Marceline Desbordes-Valmore (Marceline Desbordes-Valmore's verses are so light and so sweet... how could anyone not fall in love with them)
- Les enfants qui s'aiment by Jacques Prévert (do you remember your first love ?)
- J'aime l'araignée by Victor Hugo (it doesn't matter much what you look at, but when you look what you see)
- La Lune s'attristait... by Stéphane Mallarmé (Very classical in its style, very romantic in its soul... this poem is a gem)
- Fleurs et Couronnes by Jacques Prévert (Prévert is so right : People don't look at the sun anymore... people don't FEEL anymore... we have to change this)
I wish you a beautiful month
Take care
Keyvan
Webmaster of Sykamore.com
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Le Vent nous emportera
Dans ma nuit, si brève, hélas
Le vent a rendez-vous avec les feuilles.
Ma nuit si brève est remplie de l'angoisse dévastatrice
Ecoute ! Entends-tu le souffle des ténèbres ?
De ce bonheur, je me sens étranger.
Au désespoir je suis accoutumée.
Ecoute ! Entends-tu le souffle des ténèbres ?
Là, dans la nuit, quelque chose se passe
La lune est rouge et angoissée.
Et accrochée à ce toit
Qui risque de s'effondrer à tout moment,
Les nuages, comme une foule de pleureuses,
Attendent l'accouchement de la pluie,
Un instant, et puis rien.
Derrière cette fenêtre,
C'est la nuit qui tremble
Et c'est la terre qui s'arrête de tourner.
Derrière cette fenêtre, un inconnu s'inquiète pour moi et toi.
Toi, toute verdoyante,
Pose tes mains - ces souvenirs ardents -
Sur mes mains amoureuses
Et confie tes lèvres, repues de la chaleur de la vie,
Aux caresses de mes lèvres amoureuses
Le vent nous emportera !
Le vent nous emportera !
Forough Farrokhzad
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The Wind Will Take Us
In my small night, ah
the wind has a date with the leaves of the trees
in my small night there is agony of destruction
listen
do you hear the darkness blowing?
I look upon this bliss as a stranger
I am addicted to my despair.
listen do you hear the darkness blowing?
something is passing in the night
the moon is restless and red
and over this rooftop
where crumbling is a constant fear
clouds, like a procession of mourners
seem to be waiting for the moment of rain.
a moment
and then nothing
night shudders beyond this window
and the earth winds to a halt
beyond this window
something unknown is watching you and me.
O green from head to foot
place your hands like a burning memory
in my loving hands
give your lips to the caresses
of my loving lips
like the warm perception of being
the wind will take us
the wind will take us.
Forugh Farrokhzad
Translated by Ahmad Karimi Hakkak
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L'HOMME ET LA MER
Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer.
Tu te plais à plonger au sein de ton image ;
Tu l'embrasses des yeux et des bras, et ton coeur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.
Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets ;
Homme, nul n'a sondé le fond de tes abîmes ;
O mer, nul ne connaît tes richesses intimes,
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets !
Et cependant, voilà des siècles innombrables
Que vous vous combattez sans pitié ni remords,
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
O lutteurs éternels, ô frères implacables !
Charles Baudelaire
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The Blasted Pine
The advantages of living with two cultures
Strike one at every turn,
Especially when one finds a notice in an office building:
"This elevator will not run on Ascension Day";
Or reads in the Montreal Star:
"Tomorrow being the Feast of the Immaculate Conception,
There will be no collection of garbage in the city";
Or sees on the restaurant menu the bilingual dish:
DEEP APPLE PIE
TARTE AUX POMMES PROFONDES
F.R. Scott
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L'entrevue au ruisseau
L'eau nous sépare, écoute bien :
Si tu fais un pas, tu n'as rien.
Voici ma plus belle ceinture,
Elle embaume encor de mes fleurs.
Prends les parfums et les couleurs,
Prends tout... je m'en vais sans parure.
L'eau nous sépare, écoute bien :
Si tu fais un pas, tu n'as rien.
Sais-tu pourquoi je viens moi-même
Jeter mon ruban sur ton sein ?
C'est que tu parlais d'un larcin,
Et l'on veut donner quand on aime.
L'eau nous sépare, écoute bien ;
Si tu fais un pas, tu n'as rien.
Adieu ! ta réponse est à craindre,
Je n'ai pas le temps d'écouter ;
Mais quand je n'ose m'arrêter,
N'est-ce donc que toi qu'il faut plaindre ?
Ce que j'ai dit, retiens-le bien :
Pour aujourd'hui, je n'ai plus rien !
Marceline Desbordes-Valmore
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always for the first time
Always for the first time
Hardly do I know you by sight
You return at some hour of the night to a house at an angle to my window
A wholly imaginary house
It is there that from one second to the next
In the inviolate darkness
I anticipate once more the fascinating rift occuring
The one and only rift
In the facade and in my heart
The closer I come to you
In reality
The more the key sings at the door of the unknown room
Where you appear alone before me
At first you coalesce entirely with the brightness
The elusive angle of a curtain
It's a field of jasmine I gazed upon at dawn on a road in the vicinity of Grasse
With the diagonal slant of its girls picking
Behind them the dark falling wing of the plants stripped bare
Before them a T-square of dazzling light
The curtain invisibly raised
In a frenzy all the flowers swarm back in
It is you at grips with that too long hour never dim enough until sleep
You as though you could be
The same except that I shall perhaps never meet you
You pretend not to know I am watching you
Marvelously I am no longer sure you know
Your idleness brings tears to my eyes
A swarm of interpretations surrounds each of your gestures
It's a honeydew hunt
There are rocking chairs on a deck there are branches that may well scratch you in the forest
There are in a shop window in the rue Notre-Dame-de-Lorette
Two lovely crossed legs caught in long stockings
Flaring out in the center of a great white clover
There is a silken ladder rolled out over the ivy
There is
By my leaning over the precipice
Of your presence and your absense in hopeless fusion
My finding the secret
Of loving you
Always for the first time
André Breton
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Les enfants qui s'aiment
Les enfants qui s'aiment s'embrassent debout
Contre les portes de la nuit
Et les passants qui passent les désignent du doigt
Mais les enfants qui s'aiment
Ne sont là pour personne
Et c'est seulement leur ombre
Qui tremble dans la nuit
Excitant la rage des passants
Leur rage, leur mépris, leurs rires et leur envie
Les enfants qui s'aiment ne sont là pour personne
Ils sont ailleurs bien plus loin que la nuit
Bien plus haut que le jour
Dans l'éblouissante clarté de leur premier amour
Jacques Prevert
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DOVEGLION
he isn't looking at anything
he isn't looking for something
he isn't looking
he is seeing
what
not something outside himself
not anything inside himself
but himself himself
how
not as some anyone
not as any someone
only as a noone
(who is everyone)
E. E. Cummings
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J'aime l'araignée
J'aime l'araignée et j'aime l'ortie,
Parce qu'on les hait ;
Et que rien n'exauce et que tout châtie
Leur morne souhait ;
Parce qu'elles sont maudites, chétives,
Noirs êtres rampants ;
Parce qu'elles sont les tristes captives
De leur guet-apens ;
Parce qu'elles sont prises dans leur œuvre ;
Ô sort ! fatals nœuds !
Parce que l'ortie est une couleuvre,
L'araignée un gueux ;
Parce qu'elles ont l'ombre des abîmes,
Parce qu'on les fuit,
Parce qu'elles sont toutes deux victimes
De la sombre nuit...
Passants, faites grâce à la plante obscure,
Au pauvre animal.
Plaignez la laideur, plaignez la piqûre,
Oh ! plaignez le mal !
Il n'est rien qui n'ait sa mélancolie ;
Tout veut un baiser.
Dans leur fauve horreur, pour peu qu'on oublie
De les écraser,
Pour peu qu'on leur jette un œil moins superbe,
Tout bas, loin du jour,
La vilaine bête et la mauvaise herbe
Murmurent : Amour !
Victor Hugo
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Jabberwocky
'Twas brillig, and the slithy toves
did gyre and gimble in the wabe.
All mimsy were the borogoves,
And the mome raths outgrabe.
"Beware the Jabberwock, my son!
The jaws that bite, the claws that catch!
Beware the Jubjub bird, and shun
the frumious Bandersnatch!"
He took his vorpal sword in hand:
Long time the maxome foe he sought-
So rested he by the Tumtum tree,
And stood a while in thought.
As in uffish thought he stood,
The Jabberwock, with eyes of flame,
Came whiffling through the tulgey wood,
And burbled as it came.
One, two! One, two! And through and through
The vorpal blade went snicker-snack.
He left it dead, and with its head
He went galumphing back.
"Has thou slain the Jabberwock?
Come to my arms, my beamish boy!
O frabjous day! Calloh! Callay!
He chortled in his joy.
'Twas brillig, and the slithy toves
Did gyre and gimble in the wabe:
All mimsy were the borogoves,
And the mome raths outgrabe.
Lewis Carroll
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La lune s'attristait...
La lune s'attristait. Des séraphins en pleurs
Rêvant, l'archet aux doigts, dans le calme des fleurs
Vaporeuses, tiraient de mourantes violes
De blancs sanglots glissant sur l'azur des corolles.
C'était le jour béni de ton premier baiser.
Ma songerie aimant à me martyriser
S'enivrait savamment du parfum de tristesse
Que même sans regret et sans déboire laisse
La cueillaison d'un Rêve au coeur qui l'a cuilli.
J'errais donc, l'oeil rivé sur le pavé vieilli
Quand avec du soleil aux cheveux, dans la rue
Et dans le soir, tu m'es en riant apparue
Et j'ai cru voir la fée au chapeau de clarté
Qui jadis sur mes beaux sommeils d'enfant gaté
Passait, laissant toujours de ses mains mal fermées
Neiger de blancs bouquets d'étoiles parfumées.
Stéphane Mallarmé
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Ode On Melancholy
I
NO, no, go not to Lethe, neither twist
Wolfs-bane, tight-rooted, for its poisonous wine;
Nor suffer thy pale forehead to be kiss'd
By nightshade, ruby grape of Proserpine;
Make not your rosary of yew-berries,
Nor let the beetle, nor the death-moth be
Your mournful Psyche, nor the downy owl
A partner in your sorrow's mysteries;
For shade to shade will come too drowsily,
And drown the wakeful anguish of the soul.
II
But when the melancholy fit shall fall
Sudden from heaven like a weeping cloud,
That fosters the droop-headed flowers all,
And hides the green hill in an April shroud;
Then glut thy sorrow on a morning rose,
Or on the rainbow of the salt sand-wave,
Or on the wealth of globed peonies;
Or if thy mistress some rich anger shows,
Emprison her soft hand, and let her rave,
And feed deep, deep upon her peerless eyes.
III
She dwells with Beauty--Beauty that must die;
And Joy, whose hand is ever at his lips
Bidding adieu; and aching Pleasure nigh,
Turning to poison while the bee-mouth sips:
Ay, in the very temple of Delight
Veil'd Melancholy has her sovran shrine,
Though seen of none save him whose strenuous tongue
Can burst Joy's grape against his palate fine;
His soul shall taste the sadness of her might,
And be among her cloudy trophies hung.
John Keats
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Fleurs et Couronnes
Homme
Tu as regardé la plus triste la plus morne de toutes les fleurs de la terre
Et comme aux autres fleurs tu lui as donné un nom
Tu l'as appelée Pensée.
Pensée
C'était comme on dit bien observé
Bien pensé
Et ces sales fleurs qui ne vivent ni ne se fanent jamais
Tu les as appelées immortelles...
C'était bien fait pour elles...
Mais le lilas tu l'as appelé lilas
Lilas c'était tout à fait ça
Lilas... Lilas...
Aux marguerites tu as donné un nom de femme
Ou bien aux femmes tu as donné un nom de fleur
C'est pareil.
L'essentiel c'était que ce soit joli
Que ça fasse plaisir...
Enfin tu as donné les noms simples à toutes les fleurs simples
Et la plus grande la plus belle
Celle qui pousse toute droite sur le fumier de la misère
Celle qui se dresse à côté des vieux ressorts rouillés
A côté des vieux chiens mouillés
A côte des vieux matelas éventrés
A côté des baraques de planches où vivent les sous-alimentés
Cette fleur tellement vivante
Toute jaune toute brillante
Celle que les savants appellent Hélianthe
Toi tu l'as appelée soleil
...Soleil...
Hélas! hélas! hélas et beaucoup de fois hélas!
Qui regarde le soleil hein?
Qui regarde le soleil?
Personne ne regarde plus le soleil
Les hommes sont devenus ce qu'ils sont devenus
Des hommes intelligents...
Une fleur cancéreuse tubéreuse et méticuleuse à leur boutonnière
Ils se promènent en regardant par terre
Et ils pensent au ciel
Ils pensent... Ils pensent... ils n'arrêtent pas de penser...
Ils ne peuvent plus aimer les véritables fleurs vivantes
Ils aiment les fleurs fanées les fleurs séchées
Les immortelles et les pensées
Et ils marchent dans la boue des souvenirs dans la boue des regrets
Ils se traînent
A grand-peine
Dans les marécages du passé
Et ils traînent... ils traînent leurs chaînes
Et ils traînent les pieds au pas cadencé...
Ils avancent à grand-peine
Enlisés dans leurs champs-élysées
Et ils chantent à tue-tête la chanson mortuaire
Oui ils chantent
A tue-tête
Mais tout ce qui est mort dans leur tête
Pour rien au monde ils ne voudraient l'enlever
Parce que
Dans leur tête
Pousse la fleur sacrée
La sale maigre petite fleur
La fleur malade
La fleur aigre
La fleur toujours fanée
La fleur personnelle...
...La pensée...
Jacques Prevert
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