LeS dOiGtS bLeUs
(Blue Fingers)
"Je toucherai le ciel et j'aurai les doigts bleus"
We had better hide god in the closet
the English version is just below
Avant toute chose, permettez moi de vous souhaiter à toutes et à tous une très belle année. Je vous envoie mes meilleurs voeux pour 2002. Rassurez vous, je ne vais pas vous envoyer une sélection de poèmes sur le passage à l'euro (comme on a pu le faire ailleurs). Je vous ai sélectionné quelques textes des chansons de Robert Charlebois et de Bob Dylan. Pour le reste, la sélection -cosmopolite, comme d'habitude- va de Mayakovsky à Césaire en passant par Blandiana. Et avec ces 13 poèmes je vous envoie également une collection des écrits d'Emile Nelligan et l'Iliade d'Homère (en anglais).
En avant toute ! Voici le programme :
Poèmes en français (en blanc) :
Elégie du matin d'Ana Blandiana
L'indépendantriste de Robert Charlebois
Lindberg de Claude Peloquin
Conception de Robert Charlebois
Il me suffirait d'une gorgée de ton lait... d'Aimé Césaire
Tout hasard de Wislawa Szymborska
Prière à l'Inconnu de Jules Supervielle
Poèmes en anglais (en bleu) :
In this dead-end de Ahmad Shamlu
The Secret de Denise Levertov
Listen ! de Vladimir Mayakovsky
It ain't me babe de Bob Dylan
Like a rolling stone de Bob Dylan
Clown in the moon de Dylan Thomas
Bonne lecture !
Keyvan
webmestre des dOiGtS bLeUs
keyvan@lesdoigtsbleus.com
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Hi everyone ! Happy New Year !!!
I wish you all the best for 2002.
This month I have selected 13 poems for you. They are as diverse as always. I've also sent you two attachments. The first one is a classic of ancient poetry : the Iliad by Homer. And the second one is a collection of poems by Emile Nelligan (in French).
Here's the list :
Poems in English (in blue) :
In this dead-end by Ahmad Shamlu
The Secret by Denise Levertov
Listen ! by Vladimir Mayakovsky
It ain't me babe by Bob Dylan
Like a rolling stone by Bob Dylan
Clown in the moon by Dylan Thomas
Poems in French (in white) :
Elégie du matin by Ana Blandiana
L'indépendantriste by Robert Charlebois
Lindberg by Claude Peloquin
Conception by Robert Charlebois
Il me suffirait d'une gorgée de ton lait... by Aimé Césaire
Tout hasard by Wislawa Szymborska
Prière à l'Inconnu by Jules Supervielle
Voila ! I hope you'll like the poems !
Take care.
Keyvan
webmaster of LeS dOiGtS bLeUs
keyvan@lesdoigtsbleus.com
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Elégie du matin
Au début, j'avais promis de me taire
Mais plus tard, au matin,
Je vous ai vus sortir avec des sacs de cendre devant les portes
Et la répandre comme on sème le blé ;
N'y tenant plus, j'ai crié : Que faites-vous ? Que faites-vous ?
C'est pour vous que j'ai neigé toute la nuit sur la ville,
C'est pour vous que j'ai blanchi chaque chose toute la nuit - ô si
Vous pouviez comprendre comme il est difficile de neiger !
Hier soir, à peine étiez-vous couchés, que j'ai bondi dans l'espace
Il y faisait sombre et froid. Il me fallait
Voler jusqu'au point unique où
Le vide fait tournoyer les soleils et les éteint,
Tandis que je devais palpiter encore un instant dans ce coin,
Afin de revenir, neigeant parmi vous.
Le moindre flocon, je l'ai surveillé, pesé, éprouvé,
Pétri, fait briller du regard,
Et maintenant, je tombe de sommeil et de fatigue et j'ai la fièvre.
Je vous regarde répandre la poussière du feu mort
Sur mon blanc travail et, souriant, je vous annonce :
Des neiges bien plus grandes viendront après moi
Et il neigera sur vous tout le blanc du monde.
Essayez dès à présent de comprendre cette loi,
Des neiges gigantesques viendront après nous,
Et vous n'aurez pas assez de cendre.
Et même les tout petits enfants apprendront à neiger.
Et le blanc recouvrira vos piètres tentatives à le nier.
Et la terre entrera dans le tourbillon des étoiles
Comme un astre brûlant de neige.
Ana Blandiana
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In This Deadend
They smell your breath.
You better not have said, "I love you."
They smell your heart.
These are strange times, darling...
And they flog
love
at the roadblock.
We had better hide love in the closet...
In this crooked dead end and twisting chill,
they feed the fire
with the kindling of song and poetry.
Do not risk a thought.
These are strange times, darling...
He who knocks on the door at midnight
has come to kill the light.
We had better hide light in the closet...
Those there are butchers
stationed at the crossroads
with bloody clubs and cleavers.
These are strange times, darling...
And they excise smiles from lips
and songs from mouths.
We had better hide joy in the closet...
Canaries barbecued
on a fire of lilies and jasmine,
these are strange times, darling...
Satan drunk with victory
sits at our funeral feast.
We had better hide God in the closet.
Ahmad Shamlu
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L'indépendantriste
Elle enfile un bustier fleurdelisé
Pour afficher son autonomie
Il repasse son T-shirt unifolié
En bougonnant après les colonies
Elle trinque au bon roi François Premier
Il tète son scotch from the old country
Elle dit que tout ça, c'est de sa faute à lui
Il ronfle tout seul dans son lit queens la nuit
Faut qu'on s'sépare, y faut qu'on splitte
C'est toi qui pars ou moi j'te quitte
Prends l'Pacifique, j'garde l'Atlantique
Together and indépendantriste
Faut qu'on s'sépare, y faut qu'on splitte
C'est toi qui pars ou moi j'te quitte
Sois pacifique, j'reste authentique
Forever and indépendantriste
En chambre bleue quand elle démaquille
Sa constitution frêle de vieille fille
C'est la première à revenir en arrière
Une dernière fois pour que demain soit hier
Ils se sont aimés... well, souverainement!
Mais maintenant, les enfants sont grands
Et la maison où ils étaient heureux
Est à vendre sur la terre de nos aïeux
(Refrain)
Elle l'a aimé, son bel Ottawa
Des Rockies en passant par Moose Jaw
Je me souviens: ne croyez pas qu'elle pleure,
D'un océan à l'autre, des larmes de bonheur
(Refrain jusqu'à la fin)
Robert Charlebois
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The Secret
Two girls discover the secret of life in a sudden line of poetry.
I who don't know the secret wrote the line. They told me
(through a third person) they had found it but not what it was not even
what line it was. No doubt by now, more than a week later, they have forgotten the secret,
the line, the name of the poem. I love them for finding what I can't find,
and for loving me for the line I wrote, and for forgetting it so that
a thousand times, till death finds them, they may discover it again, in other lines
in other happenings. And for wanting to know it, for
assuming there is such a secret, yes, for that most of all.
Denise Levertov
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Lindberg !
Des hélices : astro-jets - whisper-jets - clipper-jets
Turbos, à propos :
chu pas rendu chez Sophie
Qui a pris l'avion St-Esprit
de Duplessis
sans m'avertir
Alors chu parti sur
Québec-Air, Transworld, Northern, Eastern, Western
Pi Pan-American
Mais j'sais pu
ou chu rendu
J'ai été :
au Sud du Sud
Au soleil bleu blanc rouge
Les palmiers et les cocotiers glacés
Dans les pôles aux esquimaux bronzés
Qui tricotent des ceintures fléchées farcies
Et toujours ma Sophie
Qui venait de partir
Alors chu r'parti sur
Québec-Air, Transworld, Northern, Eastern, Western
Pi Pan-American
Mais j'sais pu
ou chu rendu
Y'avait même y'avait même une compagnie qui engageait
Des pigeons qui volait en dedans
Et qui faisaient le balant
Pour la tenir dans le vent
C'était absolument absolument, absolument
Très salissant
Alors chu r'parti sur
Québec-Air, Transworld, Northern, Eastern, Western
Pi Pan-American
Mais j'sais pu
ou chu rendu
Ma Sophie ma Sophie à moé, a pris une compagnie
qui volait sur des tapis de Turquie
Et pis partis, et moi et moi, à propos et moi
Chus rendu à dos de chameau
Je préfère
mon Québec-Air, Transworld, Northern, Eastern, Western
Pi Pan-American
Mais j'sais pu
ou chu rendu
Puis j'ai fait une chute, une criss de chute, en parachute
Et j'ai retrouvé ma Sophie
Elle était dans mon lit
Avec mon meilleur ami
Et surtout
Mon pot de biscuit à l'érable
Que j'avais ramassé
Sur Québec-Air Transworld Northern, Eastern, Western
Pis Pan-American....
Claude Péloquin
Mis en musique par Robert Charlebois
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Listen !
Listen,
if stars are lit
it means - there is someone who needs it.
It means - someone wants them to be,
that someone deems those specks of spit
magnificent.
And overwrought,
in the swirls of afternoon dust,
he bursts in on God,
afraid he might be already late.
In tears,
he kisses God's sinewy hand
and begs him to guarantee
that there will definitely be a star.
He swears
he won't be able to stand
that starless ordeal.
Later,
He wanders around, worried,
but outwardly calm.
And to everyone else, he says:
'Now,
it's all right.
You are no longer afraid,
are you?'
Listen,
if stars are lit,
it means - there is someone who needs it.
It means it is essential
that every evening
at least one star should ascend
over the crest of the building.
Vladimir Mayakovsky
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Conception
Elle s'appelait Conceptionn
Elle avait besoin d'affectionn
Elle avait un "chum" en prisonn
Parce qu'il jouait trop bien du "gunn"
Conception
L'autre s'appelait Ramonn
Et conduisait un gros camionn
Il rôdait autour de la maisonn
En fumant un drôle de gazonn
Tout en fumant et en crounchant des ti-piments
Par un soleil brûlant du jour de l'An
Le gros Ramon fit irruption dans la maison
Et lui ôta son caleçon pour lui offrir son "corazon"
Elle s'appelait Conceptionn
Et avait besoin d'affectionn
Elle avait un "chum" en prisonn
parce qu'il jouait trop bien du "gunn"
Conception
Attentionn on sonne sonne sonne
C'était Pistollio Caballero
L'autre amoureux de Conceptionn
Et le roi, le grand roi des Pistolleros
Qui fêtait sa libérationn
Il sonne il sonne il sonne
Toujours pas de réponse
il défonce en finissant son 40 onces
Elle s'appelait Conceptionn
Et avait besoin d'affectionn
Pendant qu'elle ôtait sous Ramonn
Pistollio entra dans le salonn
Déception
Pistollio n'avait pas son"gun"
Ramon sortit son couteau
Pistollio cassa son goulot
Ramon trouvait ça moins le "fun"
Il y eut une grande Révolutionn
Révolutionn Révolutionn Révolutionn
Les deux tombèrent du balconn
Et se cassèrent la colonn
Elle s'appelle Conceptionn
Et a grand besoin d'affectionn
Il ne vient plus jamais personn
Pour lui offrir son "corazon"
Conception
Robert Charlebois
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It ain't me babe
Go 'way from my window,
Leave at your own chosen speed.
I'm not the one you want, babe,
I'm not the one you need.
You say you're lookin' for someone
Never weak but always strong,
To protect you an' defend you
Whether you are right or wrong,
Someone to open each and every door,
But it ain't me, babe,
No, no, no, it ain't me, babe,
It ain't me you're lookin' for, babe.
Go lightly from the ledge, babe,
Go lightly on the ground.
I'm not the one you want, babe,
I will only let you down.
You say you're lookin' for someone
Who will promise never to part,
Someone to close his eyes for you,
Someone to close his heart,
Someone who will die for you an' more,
But it ain't me, babe,
No, no, no, it ain't me, babe,
It ain't me you're lookin' for, babe.
Go melt back into the night, babe,
Everything inside is made of stone.
There's nothing in here moving
An' anyway I'm not alone.
You say you're looking for someone
Who'll pick you up each time you fall,
To gather flowers constantly
An' to come each time you call,
A lover for your life an' nothing more,
But it ain't me, babe,
No, no, no, it ain't me, babe,
It ain't me you're lookin' for, babe.
Bob Dylan
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Il me suffirait d'une gorgée de ton lait jiculi pour qu'en toi je découvre toujours à même distance de mirage - mille fois plus natale et dorée d'un soleil que n'entame nul prisme - la terre où tout est libre et fraternel, ma terre.
Partir. Mon coeur bruissait de générosités emphatiques. Partir... j'arriverais lisse et jeune dans ce pays mien et je dirais à ce pays dont le limon entre dans la composition de ma chair : « J'ai longtemps erré et je reviens vers la hideur désertée de vos plaies ».
Je viendrais à ce pays mien et je lui dirais : Embrassez-moi sans crainte... Et si je ne sais que parler, c'est pour vous que je parlerai».
Et je lui dirais encore :
« Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n'ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s'affaissent au cachot du désespoir. »
Et venant je me dirais à moi-même :
« Et surtout mon corps aussi bien que mon âme, gardez-vous de vous croiser les bras en l'attitude stérile du spectateur, car la vie n'est pas un spectacle,car une mer de douleurs n'est pas un proscenium, car un homme qui crie n'est pas un ours qui danse... »
Aimé Césaire
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Like a rolling stone
Once upon a time you dressed so fine
You threw the bums a dime in your prime, didn't you?
People'd call, say, "Beware doll, you're bound to fall"
You thought they were all kiddin' you
You used to laugh about
Everybody that was hangin' out
Now you don't talk so loud
Now you don't seem so proud
About having to be scrounging for your next meal.
How does it feel
How does it feel
To be without a home
Like a complete unknown
Like a rolling stone?
You've gone to the finest school all right, Miss Lonely
But you know you only used to get juiced in it
And nobody has ever taught you how to live on the street
And now you find out you're gonna have to get used to it
You said you'd never compromise
With the mystery tramp, but now you realize
He's not selling any alibis
As you stare into the vacuum of his eyes
And ask him do you want to make a deal?
How does it feel
How does it feel
To be on your own
With no direction home
Like a complete unknown
Like a rolling stone?
You never turned around to see the frowns on the jugglers and the clowns
When they all come down and did tricks for you
You never understood that it ain't no good
You shouldn't let other people get your kicks for you
You used to ride on the chrome horse with your diplomat
Who carried on his shoulder a Siamese cat
Ain't it hard when you discover that
He really wasn't where it's at
After he took from you everything he could steal.
How does it feel
How does it feel
To be on your own
With no direction home
Like a complete unknown
Like a rolling stone?
Princess on the steeple and all the pretty people
They're drinkin', thinkin' that they got it made
Exchanging all kinds of precious gifts and things
But you'd better lift your diamond ring, you'd better pawn it babe
You used to be so amused
At Napoleon in rags and the language that he used
Go to him now, he calls you, you can't refuse
When you got nothing, you got nothing to lose
You're invisible now, you got no secrets to conceal.
How does it feel
How does it feel
To be on your own
With no direction home
Like a complete unknown
Like a rolling stone?
Bob Dylan
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Tout hasard
Cela a pu arriver.
Cela a dû arriver.
Cela est arrivé plus tôt. Plus tard.
Plus près. Plus loin.
Pas à toi.
Tu as survécu, car tu étais le premier.
Tu as survécu, car tu étais le dernier.
Car tu étais seul. Car il y avait des gens.
Car c'était à gauche. Car c'était à droite.
Car tombait la pluie. Car tombait l'ombre.
Car le temps était ensoleillé.
Par bonheur il y avait une forêt.
Par bonheur il n'y avait pas d'arbres.
Par bonheur un rail, un crochet, une poutre, un frein,
un chambranle, un tournant, un millimètre, une seconde.
Par bonheur le rasoir flottait sur l'eau.
Parce que, car, pourtant, malgré.
Que se serait-il passé si la main, le pied,
à un pas, un cheveu
du concours de circonstances.
Tu es encore là? Sorti d'un instant encore entrouvert?
Le filet n'avait qu'une maille et toi tu es passé au travers?
Je ne puis assez m'étonner, me taire.
Ecoute
comme ton coeur me bat vite.
Wislawa Szymborska
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Clown in the moon
My tears are like the quiet drift
Of petals from some magic rose;
And all my grief flows from the rift
Of unremembered skies and snows.
I think, that if I touched the earth,
It would crumble;
It is so sad and beautiful,
So tremulously like a dream.
Dylan Thomas
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Prière à l'inconnu
Voilà que je me surprends à t'adresser la parole,
Mon Dieu, moi qui ne sais encore si tu existes
Et ne comprends pas la langue de tes églises chuchotantes.
Je regarde les autels, la voûte de ta maison,
Comme qui dit simplement: voilà du bois, de la pierre,
Voilà des colonnes romanes.
Il manque le nez à ce saint.
Et au-dedans comme au-dehors, il y a la détresse humaine.
Je baisse les yeux sans pouvoir m'agenouiller pendant la messe,
Comme si je laissais passer l'orage au-dessus de ma tête.
Et je ne puis m'empêcher de penser à autre chose.
Hélas ! j'aurai passé ma vie à penser à autre chose.
Cette autre chose, c'est encore moi.
C'est peut-être mon vrai moi-même.
C'est là que je me réfugie.
C'est peut-être là que tu es.
Je n'aurai jamais vécu que dans ces lointains attirants.
Le moment présent est un cadeau dont je n'ai pas su profiter.
Je n'en connais pas bien l'usage.
Je le tourne dans tous les sens,
Sans savoir faire marcher sa mécanique difficile.
Mon Dieu, je ne crois pas en toi, je voudrais te parler tout de même.
J'ai bien parlé aux étoiles, bien que je les sache sans vie,
Aux plus humbles des animaux, quand je les savais sans réponse,
Aux arbres qui, sans le vent, seraient muets comme la tombe.
Je me suis parlé à moi-même, quand je ne sais pas bien si j'existe.
Je ne sais si tu entends nos prières, à nous les hommes,
Je ne sais si tu as envie de les écouter.
Si tu as, comme nous, un coeur qui est toujours sur le qui-vive
Et des oreilles ouvertes aux nouvelles les plus différentes
Je ne sais pas si tu aimes à regarder par ici.
Pourtant je voudrais te remettre en mémoire la planète terre
Avec ses fleurs, ses cailloux, ses jardins et ses maisons
Avec tous les autres et nous qui savons bien que nous souffrons.
Je veux t'adresser sans tarder ces humbles paroles humaines
Parce qu'il faut que chacun tente à présent tout l'impossible.
Même si tu n'es qu'un souffle d'il y a des milliers d'années
Une grande vitesse acquise
Une durable mélancolie
Qui ferait tourner encore les sphères dans leur mélodie
Je voudrais, mon Dieu sans visage et peut-être sans espérance
Attirer ton attention parmi tant de ciels vagabonde
Sur les hommes qui n'ont pas de repos sur la planète.
Ecoute-moi ! Cela presse. Ils vont tous se décourager
Et l'on ne va plus reconnaître les jeunes parmi les âgés
Chaque matin, ils se demandent si la tuerie va commencer.
De tous côtés, l'on prépare de bizarres distributeurs de sang de plaintes et de larmes
L'on se demande si les blés ne cachent pas déjà des fusils.
Le temps serait-il passé où tu t'occupais des hommes ?
T'appelle-t-on dans d'autres mondes, médecin en consultation,
Ne sachant où donner de la tête
Laissant mourir sa clientèle ?
Ecoute-moi ! Je ne suis qu'un homme parmi tant d'autres.
L'âme se plait dans notre corps,
Ne demande pas à s'enfuir dans un éclatement de bombe.
Elle est pour nous une caresse, une secrète flatterie.
Laisse-nous respirer encore sans songer aux nouveaux poisons
Laisse-nous regarder nos enfants sans penser tout le temps à la mort.
Nous n'avons pas du tout le coeur aux batailles, aux généraux.
Laisse-nous notre va-et-vient, comme un troupeau dans ses sonnailles,
Une odeur de lait frais se mélant à l'odeur de l'herbe grasse.
Ah ! si tu existes, mon Dieu, regarde de notre côté.
Viens te délasser parmi nous.
La terre est belle, avec ses arbres, ses fleuves et ses étangs,
Si belle, que l'on dirait que tu la regrettes un peu
Mon Dieu, ne va pas faire la sourde oreille
Et ne va pas m'en vouloir si nous sommes à tu et à toi
Si je te parle avec tant d'abrupte simplicité.
Je croirais moins qu'en tout autre en un Dieu qui terrorise.
Plus que par la foudre, tu sais t'exprimer par les brins d'herbe
Et par les jeux des enfants et par les yeux des ruisseaux.
Ce qui n'empêche pas les mers et les chaînes de montagnes.
Tu ne peux pas m'en vouloir de dire ce que je pense
De réfléchir comme je peux sur l'homme et sur son existence
Avec la franchise de la terre et des diverses saisons
Et peut-être de toi-même dont j'ignorerais les leçons
Je ne suis pas sans excuses
Veuille accepter mes pauvres ruses
Tant de choses se préparent sournoisement contre nous
Quoi que nous fassions, nous craignons d'être pris au dépourvu
Et d'être comme le taureau
Qui ne comprend pas ce qui se passe
Le mène-t-on à l'abattoir
Il ne sait où il va comme ça
Et juste avant de recevoir le coup de mort sur le front
Il se répète qu'il a faim et brouterait résolument
Mais qu'est-ce qu'ils ont ce matin avec leurs tabliers pleins de sang
A vouloir tous s'occuper de lui ?
Jules Supervielle
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